La traite des stagiaires (dev, en startup)

Ces derniers temps, plusieurs signes fugaces, diffus mais bien présents ne m’ont pas échappé: sur Twitter des “stage développement en startup non rémunéré, excellente ambiance” tandis que sur Linkedin, Remixjobs ou autre job board des “recherche stagiaire(s) expérimenté(s)” ou encore “stagiaire excellente connaissance en [remplacez ici par votre techno]” éclosent deci delà. A ne pas s’y méprendre, la saison 2012 des stages abusés est désormais ouverte!

Comme à mon habitude, bien que la traite des stagiaires touche tous les domaines sans exception d’une entreprise (et certainement la palme revenant aux pauvres stagiaires market/com réduits à effectuer du cold calling toute la journée couplé à du remplissage d’Excels ignobles et gestion des papiers, du café ainsi que de l’entretien de la moquette) je me concentrerai dans ce billet uniquement sur le stagiaire développeur dans le contexte d’une jeune startup, que nous appellerons ici Kevin.

Pour un jeune entrepreneur qui recrute, idéalement, Kevin est (les points se cumulent):

  1. Gratuit. Lorsqu’on bootstrap sa startup, que l’on a en tout et pour tout 400€ de capital, un projet en développement et pas de clients avant quelques semaines, cet aspect est crucial.
  2. Un codeur hors pair. Il est expert dans la technologie recherchée, et aussi toutes les autres si possible. Il a de l’expérience (certainement sur son temps libre, car c’est bien connu, ce n’est pas sur les bancs de cours qu’il l’aura acquise)
  3. Disponible 8 mois ou plus. Ça serait bête de se priver, quitte à prendre du temps à le recruter, à lui montrer comment on fait le café et vu qu’il est gratuit, autant le garder à vie.
  4. Un passionné de débug. Oui, Kevin est spécial, il aime ce que tout développeur normalement exècre. Il pourra donc repasser derrière moi ou les autres devs pour terminer et pister/corriger les bugs. Chouette.

Pour Kevin son stage représente (un seul point possible):

  1. Une corvée imposée par son cursus. Un douloureux mais bref moment à passer avec un diplôme au bout.
  2. Une expérience unique où il pourra s’épanouir et progresser, apprendre de nouvelles technologies, participer à des projets intéressants.
  3. Sans avis. Ne sait pas trop ce qu’il fait là.
  4. Une chance d’être payé une fortune, de monter sur la capitale ou de venir en France, de sortir le soir faire la fête, prendre un grand appartement, dépenser, économiser, acheter. Au moins 1800€ net/mois + primes
Kevin comme son recruteur risquent fort d’être déçus… Certes, ces points sont quelques peu caricaturés et le trait exagéré, mais globalement, il me semble qu’un stagiaire dev n’est souvent pas dans les bonnes dispositions pour un stage en environnement startup et qu’un recruteur bien trop souvent nourrit de faux espoirs sur son Kevin ou lui propose alors un boulot indécent. Éliminons de suite le fantasme 3 du recruteur, qui désormais est légalement limité à 6 mois maximum, ainsi que les Kevin 1 et 3 qui ne font pas vraiment avancer le shmileblik.

 

I – Le salaire
Concernant le point 4 de Kevin, ce n’est pas le bon candidat pour une startup. Il est nécessaire au cours du recrutement (ou dans l’annonce) d’annoncer rapidement la rémunération ou une fourchette de rémunération envisagée afin de faire perdre le moins de temps à tout le monde. Je conseille à ce Kevin-là d’aller directement frapper à la porte des cabinets de conseils et SSII qui proposent souvent un salaire proche de celui d’un CDI (en même temps, grand nombre de ces SSII facture ces stagiaires au prix fort d’un employé à 2-3 ans d’expérience à ses clients.. comment lutter face à cela..) 

 

Il me semble que tout travail mérite gratification, autre qu’un sourire ou un merci. C’est tout bête mais le fait de payer un stagiaire, à hauteur de ce qui est possible et raisonnable pour la startup, montre à Kévin que son travail a une vraie valeur, professionnellement reconnue et sanctionnée par une paie en fin de mois, même si ce n’est pas évident financièrement pour l’entreprise. Dans le cas de Balloon, la philosophie Lean Startup que nous avons adoptée nous a permis de développer avec nos propres efforts durant 4 mois notre solution et notre site corporate. Durant ces 4 mois, nous avons lancé une première version MVP, vendue à 3 clients, nous l’avons faite évoluer et revendue à 3 nouveaux après une première itération. À ce moment là de l’aventure, nous venions de valider les prémices de notre produit, de notre marché et nous avions de quoi payer notre premier stagiaire. (nb: ceci est un exemple illustrant mon propre cas où il a été possible de rémunérer un stagiaire très tôt dans notre startup. Il est certain que ceci est loin d’être universel ou applicable à tout type de startup).

 

II – L’expérience, le projet
Les considérations pécuniaires désormais écartées, intéressons-nous aux points 2 et 4 du recruteur et au point 2 de Kevin: l’expérience du stagiaire et le projet qui lui est confié.

 

Je n’apprends rien à personne, un stage sert à un étudiant à mettre en pratique ses acquis théoriques et scolaires dans un contexte professionnel. Les hérésies que l’on voit passer dans certaines offres de stage demandant un niveau expert dans tel ou tel domaine sont donc à fuir pour un jeune stagiaire s’il ne souhaite pas se faire exploiter ou mal vivre son stage. Tout l’art du stage réside ici: bien souvent, Kevin n’a pas l’experience et la bouteille d’un CDI, une courbe d’apprentissage à prendre en compte et des mauvaises habitudes à gérer. Dès lors, quelle mission et quelles responsabilités lui confier? Voila comment je procède, ce n’est certainement pas la méthode miracle mais dans mon cas ne m’a pas fait défaut sur une dizaine de stagiaires:

 

  • Jauger la faculté d’adaptation, la rigueur et la propreté du code (in situ, autrement que durant les entretiens). Je fais toujours commencer mes stagiaires par un travail ingrat et conspué plus haut dans mon billet: le débug. En effet, en fonction de comment Kevin se débrouille, je le place deux à cinq jours sur du débug/résolution d’issues Github sur le projet, mais très rarement plus. Cela permet  de donner une vision d’ensemble du projet à Kevin en lui assignant des tickets sur différentes fonctions/langages de notre solution. Il doit ainsi se documenter et se renseigner sur la solution, son architecture, les méthodes afin de mener à bien cette tâche. Ensuite, la façon dont il corrigera ces bugs indique clairement sa façon de penser et de coder: Kevin est plutôt du genre à corriger le souci en 2 secondes en hackant comme un cochon 4-5 lignes indigestes de surcharge ou réfléchira-t-il plus longtemps pour re-factorer proprement ce qui est nécessaire? Bien qu’à 70% du temps on s’oriente vers la première solution, cela donne d’importantes indications pour les points suivants
  • Déléguer et faire gagner en autonomie. Directement lié au point précédent, il est important de rapidement laisser Kevin se débrouiller seul sur ses tâches. Pour cela, je prends une à deux semaines à regarder exhaustivement tous les commits de Kevin. Github facilitant grandement la tâche, je commente tout ce qui ne va pas, tout ce qui a besoin d’être amélioré, ligne par ligne. De même, je m’assure que Kevin  sache où il doit aller et comment y aller: un SCRUM détaillé et réaliste est établi avec lui tous les  lundis, et il sait ainsi à quoi s’en tenir chaque semaine (Gardez en tête qu’il ne peut aller aussi vite et efficacement que vous ou vos CDI dans un premier temps, au mieux à la fin de son stage..)

 

Même s’il est possible d’écrire encore et encore sur ce sujet, je terminerai pour ce billet (encore une fois bien long) par ceci: un stagiaire n’est pas un employé accessible financièrement. Il est nécessaire en startup lorsqu’on débute, car c’est tout ce que l’on peut s’offrir. Il peut être nécessaire lorsque l’on souhaite “défricher” un poste nouveau avant d’en faire un poste à plein temps. Mais dans tous les cas, bonne ou mauvaise recrue, c’est une fois de plus ce que vous attendez de lui et ce que vous lui confiez qui déterminera la qualité de son travail et le bon déroulement de son stage. Ne confiez pas une nouvelle et importante feature à un stagiaire “moyen” sous peine de voir éclore celle-ci mais de tout devoir reconstruire (en deux fois plus de temps) pour la faire évoluer tout comme ne cantonnez pas  un “bon” stagiaire à 4 mois de débug ou compatibilité IE6 par manque de confiance sous peine de ne pas profiter de son potentiel ;)

Dans tous les cas, je ne saurais que conseiller à Kevin de faire son stage en environnement startup, c’est là qu’il aura (malgré un salaire moindre certes) le plus de responsabilités, le plus de fun et la réelle impression d’apporter à l’entreprise et participer à son développement. D’ailleurs, il me semble que Balloon recrute… ;)

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